« Le loup-garou, le mythe au fil des sources », Lecouteux

Claude Lecouteux a fait une synthèse bienvenue sur les différentes origines du mythe du loup-garou en Occident, dans cet article de TRICTRAC dont je vous propose ici un résumé (article PDF disponible via Sabinet) :


LE LOUP-GAROU: LE MYTHE AU FIL DES SOURCES

Claude Lecouteux, Professeur Emérite, Université de Paris-Sorbonne
TRICTRAC: Revue de Mythologie Mondiale et de Folklore, Volume 5, 2012, pp. 46–55

  • En Grèce, cet animal était lié à :
    • Apollon Lukègénês, c’est-à-dire « né du loup »,
    • Zeus par le biais du sacrifice humain du mont Lycaeus.
  • Chez les peuples altaïques (Turquie, Moldavie, Asie centrale, Mongolie, Sibérie, Extrême-orient russe ; langues turques, mongoles et langues toungouses ; le nom dérive de celui de l'Altaï, une chaîne de montagnes d'Asie centrale aujourd'hui partagée entre Chine, Kazakhstan, Mongolie et Russie), le loup apparaît comme l’ancêtre mythique (Gengis Khan est le fils du Loup bleu)
  • Dans la mythologie germanique, c’est un loup qui engloutit Odin, le dieu suprême.
  • Chez les Romains, c’est :
    • la Louve
    • les Lupercales

Depuis l’Antiquité classique, on a imaginé des moyens de se protéger de cette bête. Signalons toutefois que le loup fut aussi un animal noble, comme en témoigne la présence de son nom dans l’anthroponomastique.

Les traditions occidentales du Moyen Age reposent sur trois segments différents :

  • Le premier est livresque et savant et vient de l’Antiquité classique; ses témoins sont Hérodote (Enquête IV,105), Pline l’Ancien (Hist. nat. VIII, XXXIV, 80), Virgile (Bucol. VIII,97), Ovide (Métam. I,209 sq.), Pétrone (Satyricon 62), saint Augustin (Cité de Dieu XVIII,17) et Isidore de Séville (Etym. 11,4,2).
  • Le second vecteur est germanique et ancré dans une conception particulière de l’âme : elle peut s’évader du corps et prendre la forme de n’importe quel animal.
  • Le troisième est populaire [paganismes divers], se rencontre dans de nombreux contes et légendes et est centrée sur un motif repris de Pétrone: il faut se dévêtir pour que la transformation ait lieu. Entre 1160 et 1170, Marie de France s’en fait l’écho dans Le Bisclavret.

Il faut bien retenir que la forme de loup n’est qu’une possible parmi bien d’autres. Autrefois, on croyait que l’homme disposait de plusieurs doubles animaux et que ceux-ci pouvaient s’échapper pendant son sommeil, le coma ou la transe ; il existe donc d’autres garous, et les textes de l’ancienne Scandinavie le confirment.

Derrière toutes ces transformations survivent des conceptions chamaniques : lorsque le chaman est en transe, son esprit quitte son corps et, sous forme humaine ou animale, gagne l’au-delà pour en ramener l’âme d’un défunt ou les moyens de guérir une autre personne. Ces données étant incomprises des chrétiens du Moyen Age, ils pensèrent à une métamorphose, fortement influencés qu’ils étaient par le dire des écrivains de l’Antiquité classique.

L’histoire du loup-garou est exemplaire à plus d’un titre. Elle nous montre comment une croyance liée aux conceptions de l’âme a été récupérée par la littérature tout en continuant à vivre dans les traditions populaires.
A mesure que s’estompait l’explication originale, à savoir que l’homme possède un double pouvant prendre n’importe quelle forme animale ou une forme humaine pour vagabonder, affliger les humains en tant que cauchemar, des explications « rationnelles » se mirent en place.
Dans un deuxième temps, on oublia que diverses formes animales étaient possibles et on n’en retint qu’une, celle du loup qui jouissait d’une réputation terrifiante. Ne menaçait-il pas les moyens d’existence et la vie des hommes ?

C›est à un tel détail que nous voyons bien qu’il s’agit d’un mythe, si nous définissons le terme comme « discours », selon son acception grecque. Or la plupart des légendes du loup-garou, celles des traditions populaires, sont en fait des mémorats fixant le souvenir d’un fait. En ce sens le terme de « légende » est impropre car il ne faudrait pas commettre l’erreur de rejeter ces récits dans la fiction pure : ils reflètent les croyances et les peurs de nos ancêtres.

Mais que nous dit le mythe, que nous rapporte-t-il ? Il exprime la crainte que la composante animale propre à chaque homme l’emporte sur son humanité et transforme ainsi une créature en ennemi de la société.
Dans un premier temps, le pouvoir de dédoublement, appelé à tort métamorphose, a été dénié au plus grand nombre et attribué uniquement aux individus en relation avec le surnaturel, sorcier, chamans ou autres, puis aux personnes dont le comportement était plus ou moins explicable, en tous cas tranchait sur celui de la communauté.
Dans un second temps, la transformation s’est focalisée sur le loup parce que c’était le prédateur le plus redouté des vivants. On a donc alors recherché les explications rationnelles que nous avons évoquées plus haut. Le loup-garou est donc avant tout l’image de l’antihomme, l’expression des instincts non maîtrisés, de l’animalité brute et donc l’antithèse de l’homme image de Dieu.


Création : 10/04/2019

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