Le loup-garou dans l'Antiquité classique : œuvres

Hérodote, Enquête (Historia IV, 105) :
Neures : peuple semi-légendaire situé par Hérodote au nord de la Scythie, au bord de la mer Noire.

[4,105] Νευροὶ δὲ νόμοισι μὲν χρέωνται Σκυθικοῖσι, γενεῇ δὲ μιῇ πρότερον σφέας τῆς Δαρείου στρατηλασίης κατέλαβε ἐκλιπεῖν τὴν χώρην πᾶσαν ὑπὸ ὀφίων· ὄφιας γάρ σφι πολλοὺς μὲν ἡ χώρη ἀνέφαινε, οἱ δὲ πλεῦνες ἄνωθέν σφι ἐκ τῶν ἐρήμων ἐπέπεσον, ἐς ὃ πιεζόμενοι οἴκησαν μετὰ Βουδίνων τὴν ἑωυτῶν ἐκλιπόντες. κινδυνεύουσι δὲ οἱ ἄνθρωποι οὗτοι γόητες εἶναι. λέγονται γὰρ ὑπὸ Σκυθέων καὶ Ἑλλήνων τῶν ἐν τῇ Σκυθικῇ κατοικημένων ὡς ἔτεος ἑκάστου ἅπαξ τῶν Νευρῶν ἕκαστος λύκος γίνεται ἡμέρας ὀλίγας καὶ αὖτις ὀπίσω ἐς τὠυτὸ κατίσταται. ἐμὲ μέν νυν ταῦτα λέγοντες οὐ πείθουσι, λέγουσι δὲ οὐδὲν ἧσσον, καὶ ὀμνῦσι δὲ λέγοντες.

[4,105] CV. Les Neures observent les mêmes usages que les Scythes. Une génération avant l'expédition de Darius, ils furent forcés de sortir de leur pays, à cause d'une multitude de serpents qu'il produisit, et parce qu'il en vint en plus grand nombre des déserts qui sont au-dessus d'eux. Ils en furent tellement infestés, qu'ils s'expatrièrent, et se retirèrent chez les Budins. Il paraît que ces peuples sont des enchanteurs. En effet, s'il faut eu croire les Scythes et les Grecs établis en Scythie, chaque Neure se change une fois par an en loup pour quelques jours, et reprend ensuite sa première forme. Les Scythes ont beau dire, ils ne me feront pas croire de pareils contes ; ce n'est pas qu'ils ne les soutiennent, et même avec serment.

Virgile, Bucoliques VIII, 95 :
-Ier siècle

[8,95] Has herbas atque haec Ponto mihi lecta uenena
ipse dedit Moeris (nascuntur pluruma Ponto);
his ego saepe lupum fieri et se condere siluis
Moerim, saepe animas imis excire sepulcris,
atque satas alio uidi traducere messis.

[8,95] Ces herbes, ces poisons cueillis dans les campagnes du Pont, c'est Méris lui-même qui me les a donnés: ils naissent innombrables dans le Pont. Par leur vertu merveilleuse, j'ai vu souvent Méris devenir loup et s'enfoncer dans les bois; je l'ai vu faire sortir les mânes de leurs tombeaux; je l'ai vu transplanter des moissons d'un champ dans un autre.

Ovide, Métamorphoses I, 163-252
-Ier ; Ier siècles

[1,160] in faciem uertisse hominum; sed et illa propago
161 contemptrix superum saeuaeque auidissima caedis
162 et uiolenta fuit: scires e sanguine natos.
163 Quae pater ut summa uidit Saturnius arce,
164 ingemit et facto nondum uulgata recenti
165 foeda Lycaoniae referens conuiuia mensae
166 ingentes animo et dignas Ioue concipit iras
167 conciliumque uocat: tenuit mora nulla uocatos.
168 Est uia sublimis, caelo manifesta sereno;
169 lactea nomen habet, candore notabilis ipso.

[1,170] hac iter est superis ad magni tecta Tonantis
171 regalemque domum: dextra laeuaque deorum
172 atria nobilium ualuis celebrantur apertis.
173 plebs habitat diuersa locis: hac parte potentes
174 caelicolae clarique suos posuere penates;
175 hic locus est, quem, si uerbis audacia detur,
176 haud timeam magni dixisse Palatia caeli.
177 Ergo ubi marmoreo superi sedere recessu,
178 celsior ipse loco sceptroque innixus eburno
179 terrificam capitis concussit terque quaterque

[1,180] caesariem, cum qua terram, mare, sidera mouit.
181 talibus inde modis ora indignantia soluit:
182 'non ego pro mundi regno magis anxius illa
183 tempestate fui, qua centum quisque parabat
184 inicere anguipedum captiuo bracchia caelo.
185 nam quamquam ferus hostis erat, tamen illud ab uno
186 corpore et ex una pendebat origine bellum;
187 nunc mihi qua totum Nereus circumsonat orbem,
188 perdendum est mortale genus: per flumina iuro
189 infera sub terras Stygio labentia luco!

[1,190] cuncta prius temptanda, sed inmedicabile curae
191 ense recidendum, ne pars sincera trahatur.
192 sunt mihi semidei, sunt, rustica numina, nymphae
193 faunique satyrique et monticolae siluani;
194 quos quoniam caeli nondum dignamur honore,
195 quas dedimus, certe terras habitare sinamus.
196 an satis, o superi, tutos fore creditis illos,
197 cum mihi, qui fulmen, qui uos habeoque regoque,
198 struxerit insidias notus feritate Lycaon?'
199 Confremuere omnes studiisque ardentibus ausum

[1,200] talia deposcunt: sic, cum manus inpia saeuit
201 sanguine Caesareo Romanum exstinguere nomen,
202 attonitum tantae subito terrore ruinae
203 humanum genus est totusque perhorruit orbis;
204 nec tibi grata minus pietas, Auguste, tuorum
205 quam fuit illa Ioui. qui postquam uoce manuque
206 murmura conpressit, tenuere silentia cuncti.
207 substitit ut clamor pressus grauitate regentis,
208 Iuppiter hoc iterum sermone silentia rupit:
209 'ille quidem poenas (curam hanc dimittite!) soluit;

[1,210] quod tamen admissum, quae sit uindicta, docebo.
211 contigerat nostras infamia temporis aures;
212 quam cupiens falsam summo delabor Olympo
213 et deus humana lustro sub imagine terras.
214 longa mora est, quantum noxae sit ubique repertum,
215 enumerare: minor fuit ipsa infamia uero.
216 Maenala transieram latebris horrenda ferarum
217 et cum Cyllene gelidi pineta Lycaei:
218 Arcadis hinc sedes et inhospita tecta tyranni
219 ingredior, traherent cum sera crepuscula noctem.

[1,220] signa dedi uenisse deum, uulgusque precari
221 coeperat: inridet primo pia uota Lycaon,
222 mox ait "experiar deus hic discrimine aperto
223 an sit mortalis: nec erit dubitabile uerum."
224 nocte grauem somno necopina perdere morte
225 comparat: haec illi placet experientia ueri;
226 nec contentus eo, missi de gente Molossa
227 obsidis unius iugulum mucrone resoluit
228 atque ita semineces partim feruentibus artus
229 mollit aquis, partim subiecto torruit igni.

[1,230] quod simul inposuit mensis, ego uindice flamma
231 in domino dignos euerti tecta penates;
232 territus ipse fugit nactusque silentia ruris
233 exululat frustraque loqui conatur: ab ipso
234 colligit os rabiem solitaeque cupidine caedis
235 uertitur in pecudes et nunc quoque sanguine gaudet.
236 in uillos abeunt uestes, in crura lacerti:
237 fit lupus et ueteris seruat uestigia formae;
238 canities eadem est, eadem uiolentia uultus,
239 idem oculi lucent, eadem feritatis imago est.

[1,240] occidit una domus, sed non domus una perire
241 digna fuit: qua terra patet, fera regnat Erinys.
242 in facinus iurasse putes! dent ocius omnes,
243 quas meruere pati, (sic stat sententia) poenas.'
244 Dicta Iouis pars uoce probant stimulosque frementi
245 adiciunt, alii partes adsensibus inplent.
246 est tamen humani generis iactura dolori
247 omnibus, et quae sit terrae mortalibus orbae
248 forma futura rogant, quis sit laturus in aras
249 tura, ferisne paret populandas tradere terras.

[1,250] talia quaerentes (sibi enim fore cetera curae)
251 rex superum trepidare uetat subolemque priori
252 dissimilem populo promittit origine mira.
253 Iamque erat in totas sparsurus fulmina terras;
254 sed timuit, ne forte sacer tot ab ignibus aether
255 conciperet flammas longusque ardesceret axis:
256 esse quoque in fatis reminiscitur, adfore tempus,
257 quo mare, quo tellus correptaque regia caeli
258 ardeat et mundi moles obsessa laboret.
259 tela reponuntur manibus fabricata cyclopum;

[1,160] De nouveaux hommes furent formés : peuple impie, qui continua de mépriser les dieux, fut altéré de meurtre, emporté par la violence, et bien digne de sa sanglante origine.Du haut de son trône, Jupiter voit les crimes de la terre. Il gémit; et se rappelant l'horrible festin que Lycaon venait de lui servir, il est transporté d'un courroux extrême, digne du souverain des dieux; il les convoque; à l'instant ils sont assemblés. Il est dans le ciel une grande voie qu'on découvre quand l'air est pur et sans nuages; elle est remarquable par sa blancheur; on la nomme lactée.

[1,170] C'est le chemin qui conduit au brillant séjour du maître du tonnerre. À droite et à gauche sont les portiques des dieux les plus puissants; ailleurs habitent les divinités vulgaires. Les plus distinguées ont fixé leur habitation à l'entrée de cette voie, qui, si l'on peut oser le dire, est le palais de l'empire céleste. Dès que les dieux se furent placés sur des sièges de marbre, Jupiter, assis sur un trône plus élevé, s'appuyant sur son sceptre d'ivoire agite trois fois sa tête redoutable,

[1,180] et trois fois la terre, et la mer, et les astres en sont ébranlés; enfin le fils de Saturne exprime sa colère en ces mots : "L'empire du monde me causa de moins grandes alarmes, lorsque j’eus à le défendre contre l'audace de ces Géants, enfants de la Terre, dont les cent bras voulaient soumettre le ciel. C'étaient sans doute des ennemis redoutables; mais ils ne formaient qu'une race, et la guerre n'avait qu'un seul principe. Maintenant, sur le globe qu'entoure l’océan, je ne vois que des hommes pervers. Il faut perdre le genre humain. J'en jure par les fleuves des enfers qui coulent, sous les terres, dans les bois sacrés du Styx,

[1,190] j'ai tout tenté pour le sauver; mais il faut porter le fer dans les blessures incurables, pour que les parties saines ne soient pas corrompues. J'ai, sous mes lois, des Demi-dieux, des Nymphes, des Faunes, des Satyres, des Sylvains qui habitent les montagnes, divinités champêtres, que nous n'avons pas encore jugées dignes des honneurs du ciel, et à qui nous avons accordé la terre pour y fixer leur séjour. Mais comment pourriez-vous croire à leur sûreté parmi les hommes, lorsque Lycaon, connu par sa férocité, a osé tendre des pièges à moi-même qui lance le tonnerre, et qui vous retiens tous sous mon empire ?" À ces mots, les dieux frémissent, et demandent à haute voix la punition éclatante d'un si noir attentat.

[1,200] Ainsi, lorsqu'une main sacrilège sembla vouloir éteindre le nom romain dans le sang de César, la chute de ce grand homme étonna tous les peuples de la terre, et l'univers frémit d'horreur. Alors, Auguste, tu vis le zèle des tiens, et il te fut aussi agréable que celui des dieux l'avait été à Jupiter. Ayant, du geste et de la voix, apaisé les murmures, et les dieux attentifs gardant un silence profond devant la majesté sévère de leur maître, il reprit son discours en ces mots : "Rassurez-vous, le coupable a subi sa peine.

[1,210] Apprenez cependant et son crime et ma vengeance. Le bruit de l'iniquité des mortels avait frappé mes oreilles : je désirais qu'il fût mensonger; et, cachant ma divinité sous des formes humaines, je descends des hautes régions de l'éther, et je vais visiter la terre. Il serait trop long de vous raconter tous les excès qui partout frappèrent mes regards. Le mal était encore plus grand que la renommée ne le publiait. "J'avais passé le Ménale, horrible repaire de bêtes féroces, le mont Cyllène, et les forêts de sapins du froid Lycée. J'arrive dans l'Arcadie au moment où les crépuscules du soir amènent la nuit après eux, et j'entre sous le toit inhospitalier du tyran de ces contrées.

[1,220] J'avais assez fait connaître qu'un dieu venait les visiter. Déjà le peuple prosterné m'adressait des vœux et des prières. Lycaon commence par insulter à sa piété : Bientôt, dit-il, j'éprouverai s'il est dieu ou mortel, et la vérité ne sera pas douteuse. Il m'apprête un trépas funeste, pendant la nuit, au milieu du sommeil. Voilà l'épreuve qu'il entend faire pour connaître la vérité : et, non content de la mort qu'il me destine, il égorge un otage que les Molosses lui ont livré. Il fait bouillir une partie des membres palpitants de cette victime, il en fait rôtir une autre;

[1,230] et ces mets exécrables sont ensemble servis devant moi. Aussitôt, des feux vengeurs, allumés par ma colère, consument le palais et ses pénates dignes d'un tel maître. Lycaon fuit épouvanté. Il veut parler, mais en vain : ses hurlements troublent seuls le silence des campagnes. Transporté de rage, et toujours affamé de meurtres, il se jette avec furie sur les troupeaux; il les déchire, et jouit encore du sang qu'il fait couler. Ses vêtements se convertissent en un poil hérissé; ses bras deviennent des jambes : il est changé en loup, et il conserve quelques restes de sa forme première : son poil est gris comme l'étaient ses cheveux; on remarque la même violence sur sa figure; le même feu brille dans ses yeux; tout son corps offre l'image de son ancienne férocité.

[1,240] Une seule maison venait d'être anéantie; mais ce n'était pas la seule qui méritât la foudre. La cruelle Érynis étend son empire sur la terre. On dirait que, par d'affreux serments, tous les hommes se sont voués au crime. Il faut donc, et tel est mon arrêt irrévocable, qu'ils reçoivent tous le châtiment qu'ils ont mérité. " Les dieux approuvent la résolution de Jupiter, les uns en excitant sa colère, les autres par un muet assentiment. Cependant ils ne sont pas insensibles à la perte du genre humain : ils demandent quel sera désormais l'état de la terre veuve de ses habitants; qui désormais fera fumer l'encens sur leurs autels, et s'il convient que le monde soit livré aux bêtes féroces, et devienne leur empire.


[1,250] Le monarque des dieux leur défend de s'alarmer. Il se charge de pourvoir à tout : il promet aux immortels une race d'hommes meilleure que la première, et dont l'origine sera merveilleuse. Déjà tous ses foudres allumés allaient frapper la terre; mais il craint que l'éther même ne s'embrase par tant de feux, et que l'axe du monde n'en soit consumé. Il se souvient que les destins ont fixé, dans l'avenir, un temps où la mer, et la terre, et les cieux seront dévorés par les flammes, et où la masse magnifique de l'univers sera détruite par elles : il dépose ses foudres forgés par les Cyclopes;

Pline l’ancien, Histoire naturelle VIII, XXXIV, 80
Ier siècle

[8,34] 80 Sed in Italia quoque creditur luporum uisus esse noxius uocemque homini, quem priores contemplentur, adimere ad praesens. inertes hos paruosque Africa et Aegyptus gignunt, asperos trucesque frigidior plaga. homines in lupos uerti rursusque restitui sibi falsum esse confidenter existimare debemus aut credere omnia quae fabulosa tot saeculis conperimus. unde tamen ista uulgo infixa sit fama in tantum, ut in maledictis uersipelles habeat, indicabitur. 81 Euanthes, inter auctores Graeciae non spretus, scribit Arcadas tradere ex gente Anthi cuiusdam sorte familiae lectum ad stagnum quoddam regionis eius duci uestituque in quercu suspenso tranare atque abire in deserta transfigurarique in lupum et cum ceteris eiusdem generis congregari per annos VIIII. quo in tempore si homine se abstinuerit, reuerti ad idem stagnum et, cum tranauerit, effigiem recipere, ad pristinum habitum addito nouem annorum senio. id quoque adicit, eandem recipere uestem. 82 mirum est quo procedat Graeca credulitas! nullum tam inpudens mendacium est, ut teste careat. item Apollas, qui Olympionicas scripsit, narrat Demaenetum Parrhasium in sacrificio, quod Arcades Ioui Lycaeo humana etiamtum hostia facebant, immolati pueri exta degustasse et in lupum se conuertisse, eundem X anno restitutum athleticae se exercuisse in pugilatu uictoremque Olympia reuersum. 83 quin et caudae huius animalis creditur uulgo inesse amatorium uirus exiguo in uillo eumque, cum capiatur, abici nec idem pollere nisi uiuenti dereptum. dies, quibus coeat, toto anno non amplius duodecim. eundem in fame uesci terra inter auguria; ad dexteram commeantium praeciso itinere si pleno id ore fecerit, nullum ominum praestantius. 84 sunt in eo genere qui ceruari uocantur, qualem e Gallia in Pompei Magni harena spectatum diximus. huic quamuis in fame mandenti, si respexerit, obliuionem cibi subrepere aiunt digressumque quaerere aliud.

[8,34] (1) En Italie aussi on croit que le regard des loups est nuisible, et que voyant un homme avant d'en être vus ils le privent momentanément de la voix. En Afrique et en Égypte les loups sont petits et sans force; dans les pays froids ils sont farouches et redoutables. On a dit que des hommes se changeaient en loups, puis reprenaient leur forme; nous devons croire fermement que cela est faux, ou ajouter foi à toutes les fables dont tant de siècles ont démontré la fausseté. (2) Mais d'où vient que cette opinion ait pris de telles racines dans l'esprit du vulgaire, que le mot de loup-garou soit un terme d'imprécation? Nous allons le dire. D'après Évanthes, écrivain grec qui n'est pas sans réputation, les livres des Arcadiens disent qu'un individu de la famille d'un certain Anthus est choisi au sort parmi les siens, et conduit à un étang de l'Arcadie; que la, suspendant ses habits à un chêne, il passe l'étang à la nage, va dans la solitude, se transforme en loup, et vit pendant neuf ans avec les animaux de cette espèce. (3) Si pendant ce temps il n'a vu aucun homme, il retourne à l'étang, et, après l'avoir traversé à la nage, il reprend la forme humaine : seulement il se trouve âgé de neuf ans de plus qu'avant sa métamorphose; Fabius ajoute même qu'il reprend son ancien vêtement. On est stupéfait de l'excès de la crédulité grecque; il n'est pas de mensonge si impudent qui ne soit appuyé d'un témoignage. Ainsi Agriopas, historien des Vainqueurs Olympiques, raconte que Déménète de Parrhasie (IV, 10) ayant goûté des entrailles d'un enfant, immolé dans le sacrifice de victimes humaines que les Arcadiens faisaient encore dans ce temps à Jupiter Lycéen, fut métamorphosé en loup; qu'au bout de dix ans, rendu aux Jeux athlétiques, il disputa le prix du pugilat, et revint victorieux d'Olympie. (4) Bien plus, on croit vulgairement qu'un petit poil qui est à la queue du loup constitue un philtre amoureux, et que l'animal pris jette ce poil, qui n'a de vertu qu'autant qu'il est enlevé sur l'animal vivant. On dit que le temps de l'accouplement des loups n'est, dans toute l'année, que de douze jours; qu'affamé, il se nourrit de terre. De tous les présages le plus favorable est de voir son chemin coupé à droite par un loup ayant la gueule pleine. Au même genre appartiennent les loups appelés cerviers, tels que l'animal qui, avons-nous dit (VIII, 28), venu de la Gaule, fut montré dans les jeux célébrés par le grand Pompée. Ce dernier animal, même ayant faim, oublie, dit-on, s'il tourne la tête, les aliments qu'il mangeait, et va ailleurs en chercher d'autres.

Pétrone, Satyricon 62
Ier siècle

[62] (LXII) "Forte dominus Capuae exierat ad scruta scita expedienda. Nactus ego occasionem persuadeo hospitem nostrum, ut mecum ad quintum miliarium ueniat. Erat autem miles, fortis tanquam Orcus. Apoculamus nos circa gallicinia; luna lucebat tanquam meridie. Venimus inter monimenta: homo meus coepit ad stelas facere; sedeo ego cantabundus et stelas numero. Deinde ut respexi ad comitem, ille exuit se et omnia uestimenta secundum uiam posuit. Mihi anima in naso esse; stabam tanquam mortuus. At ille circumminxit uestimenta sua, et subito lupus factus est. Nolite me iocari putare; ut mentiar, nullius patrimonium tanti facio. Sed, quod coeperam dicere, postquam lupus factus est, ululare coepit et in siluas fugit. Ego primitus nesciebam ubi essem; deinde accessi, ut uestimenta eius tollerem: illa autem lapidea facta sunt. Qui mori timore nisi ego? Gladium tamen strinxi et {in tota uia} umbras cecidi, donec ad uillam amicae meae peruenirem. In laruam intraui, paene animam ebulliui, sudor mihi per bifurcum uolabat, oculi mortui; uix unquam refectus sum. Melissa mea mirari coepit, quod tam sero ambularem, et: 'Si ante, inquit, uenisses, saltem nobis adiutasses; lupus enim uillam intrauit et omnia pecora tanquam lanius sanguinem illis misit. Nec tamen derisit, etiamsi fugit; senius enim noster lancea collum eius traiecit'. Haec ut audiui, operire oculos amplius non potui, sed luce clara Gai nostri domum fugi tanquam copo compilatus; et postquam ueni in illum locum, in quo lapidea uestimenta erant facta, nihil inueni nisi sanguinem. Vt uero domum ueni, iacebat miles meus in lecto tanquam bouis, et collum illius medicus curabat. Intellexi illum uersipellem esse, nec postea cum illo panem gustare potui, non si me occidisses. Viderint quid de hoc alii exopinissent; ego si mentior, genios uestros iratos habeam".

[62] LXII. OU L'ON ÉCOUTE UNE HORRIFIQUE HISTOIRE DE LOUP-GAROU. « Justement, mon maître était allé à Capoue pour se défaire de nippes encore assez bonnes. Profitant de l'occasion, je propose à notre hôte de m'accompagner jusqu'à cinq milles d'ici. C'était un soldat, brave comme l'enfer. « Nous nous mettons en branle au chant du coq. La lune brillait : on y voyait comme à midi. Nous tombons au milieux des tombeaux. Alors voilà mon homme qui se met à conjurer les astres. Je m'assieds en fredonnant et je m'amuse à compter les étoiles. Mais quand je me retourne vers mon compagnon, je le vois qui se déshabille et pose tous ses vêtements sur le bord de la route. J'en reste plus mort que vif, immobile comme un cadavre. Mais lui tourne autour de ses habits en pissant et aussitôt le voilà changé en loup. « Ne croyez pas que je plaisante : je ne voudrais pas pour tout l'or du monde. Mais voyons, où en étais-je donc ? Ah ! Devenu loup il se mit à hurler et s'enfuit dans les bois. D'abord je ne savais même plus où j'étais. Ensuite je voulus aller prendre ses habits : ils étaient changés en pierre. Qui était mort de peur ? C'était moi. Pourtant, je mis l'épée à la main et de toutes mes forces je me mis à pourfendre les ombres. Je finis par arriver ainsi à la maison de mon amie. En franchissant le seuil, je tombai presque mort : la sueur me coulait sur le visage ; mes yeux étaient morts : on crut. que je n'en reviendrais pas. « Ma chère Melisse était toute surprise de me voir arriver si tard : « Si tu étais venu un peu plus tôt, me dit-elle, tu nous aurais donné un coup de main : un loup a pénétré dans la ferme et a massacré tous nos moutons. C'était une véritable boucherie. Il nous a échappé, mais il ne doit pas rire : notre valet lui a passé sa lance à travers le cou. » A cette nouvelle, j'ouvris de grands yeux. Mais, le soleil levé, je m'enfuis bien vite à la maison, comme un marchand dévalisé. « En arrivant au lieu où j'avais laissé les vêtements, je ne vis plus rien que des taches de sang. A la maison, je trouvai mon soldat au lit, saignant comme un boeuf, avec un médecin qui lui pansait le cou. « Je compris que j'avais eu affaire à un loup-garou et, depuis, je n'aurais voulu pour rien au monde manger un morceau de pain avec lui. Que les incrédules en pensent ce qu'ils voudront. Quant à moi, si je mens, je veux que vos génies me punissent. »

Pausanias, Histoire de la Grèce, 8, 2
IIe siècle

δοκῶ δὲ ἔγωγε Κέκροπι ἡλικίαν τῷ βασιλεύσαντι Ἀθηναίων καὶ Λυκάονι εἶναι τὴν αὐτήν, σοφίᾳ δὲ οὐχ ὁμοίᾳ σφᾶς ἐς τὸ θεῖον χρήσασθαι. (3) ὁ μὲν γὰρ Δία τε ὠνόμασεν Ὕπατον πρῶτος, καὶ ὁπόσα ἔχει ψυχήν, τούτων μὲν ἠξίωσεν οὐδὲν θῦσαι, πέμματα δὲ ἐπιχώρια ἐπὶ τοῦ βωμοῦ καθήγισεν, ἃ πελάνους καλοῦσιν ἔτι καὶ ἐς ἡμᾶς Ἀθηναῖοι· Λυκάων δὲ ἐπὶ τὸν βωμὸν τοῦ Λυκαίου Διὸς βρέφος ἤνεγκεν ἀνθρώπου καὶ ἔθυσε τὸ βρέφος καὶ ἔσπεισεν ἐπὶ τοῦ βωμοῦ τὸ αἷμα, καὶ αὐτὸν αὐτίκα ἐπὶ τῇ θυσίᾳ γενέσθαι λύκον φασὶν ἀντὶ ἀνθρώπου. (4) καὶ ἐμέ γε ὁ λόγος οὗτος πείθει, λέγεται δὲ ὑπὸ Ἀρκάδων ἐκ παλαιοῦ, καὶ τὸ εἰκὸς αὐτῷ πρόσεστιν. οἱ γὰρ δὴ τότε ἄνθρωποι ξένοι καὶ ὁμοτράπεζοι θεοῖς ἦσαν ὑπὸ δικαιοσύνης καὶ εὐσεβείας, καί σφισιν ἐναργῶς ἀπήντα παρὰ τῶν θεῶν τιμή τε οὖσιν ἀγαθοῖς καὶ ἀδικήσασιν ὡσαύτως ἡ ὀργή, ἐπεί τοι καὶ θεοὶ τότε ἐγίνοντο ἐξ ἀνθρώπων, οἳ γέρα καὶ ἐς τόδε ἔτι ἔχουσιν ὡς Ἀρισταῖος καὶ Βριτόμαρτις ἡ Κρητικὴ καὶ Ἡρακλῆς ὁ Ἀλκμήνης καὶ Ἀμφιάραος ὁ Ὀικλέους, ἐπὶ δὲ αὐτοῖς Πολυδεύκης τε καὶ Κάστωρ. (5) οὕτω πείθοιτο ἄν τις καὶ Λυκάονα θηρίον καὶ τὴν Ταντάλου Νιόβην γενέσθαι λίθον. ἐπ´ ἐμοῦ δὲ - κακία γὰρ δὴ ἐπὶ πλεῖστον ηὔξετο καὶ γῆν τε ἐπενέμετο πᾶσαν καὶ πόλεις πάσας - οὔτε θεὸς ἐγίνετο οὐδεὶς ἔτι ἐξ ἀνθρώπου, πλὴν ὅσον λόγῳ καὶ κολακείᾳ πρὸς τὸ ὑπερέχον, καὶ ἀδίκοις τὸ μήνιμα τὸ ἐκ τῶν θεῶν ὀψέ τε καὶ ἀπελθοῦσιν ἐνθένδε ἀπόκειται. (6) ἐν δὲ τῷ παντὶ αἰῶνι πολλὰ μὲν πάλαι συμβάντα, τὰ δὲ καὶ ἔτι γινόμενα ἄπιστα εἶναι πεποιήκασιν ἐς τοὺς πολλοὺς οἱ τοῖς ἀληθέσιν ἐποικοδομοῦντες ἐψευσμένα. λέγουσι γὰρ δὴ ὡς Λυκάονος ὕστερον ἀεί τις ἐξ ἀνθρώπου λύκος γίνοιτο ἐπὶ τῇ θυσίᾳ τοῦ Λυκαίου Διός, γίνοιτο δὲ οὐκ ἐς ἅπαντα τὸν βίον· ὁπότε δὲ εἴη λύκος, εἰ μὲν κρεῶν ἀπόσχοιτο ἀνθρωπίνων, ὕστερον ἔτει δεκάτῳ φασὶν αὐτὸν αὖθις ἄνθρωπον ἐκ λύκου γίνεσθαι, γευσάμενον δὲ ἐς ἀεὶ μένειν θηρίον.


Pour Lycaon, je crois qu'il régnait en Arcadie dans le temps que Cécrops régnait à Athènes; mais Cécrops régla le culte des dieux, et les cérémonies de la religion avec beaucoup plus de sagesse. (3) Il fut le premier qui appela Jupiter le dieu suprême; il défendit que l'on sacrifiât aux dieux rien qui fût animé, et voulut que l'on se contentât de leur offrir des gâteaux du pays, et de ces espèces de gâteaux que les Athéniens appellent encore aujourd'hui d'un nom particulier. Au contraire Lycaon immola un enfant à Jupiter Lykaios, et trempa ses mains dans le sang humain; aussi dit-on qu'au milieu du sacrifice il fut changé en loup, ce qui n'est pas croyable. (4) Car outre que le fait passe pour constant parmi les Arcadiens, il n'a rien contre la vraisemblance. En effet, ces premiers hommes étaient souvent les hôtes et les commensaux des dieux, c'était la récompense de leur justice et de leur piété; les bons étaient honorés de la visite des dieux, et les méchants éprouvaient sur le champ leur colère; de là vient que plusieurs d'entre les hommes furent alors déifiés, et qu'ils jouissent encore des honneurs divins, témoin Aristée, Britomartis de Crète, Hercule fils d'Alcmène, et Amphiaraos fils d'Oiklès, auxquels on peut ajouter Castor et Pollux. (5) Par la raison contraire on peut bien croire que Lycaon prit la figure d'une bête, et que Niobé fille de Tantale fut changée en rocher; mais aujourd'hui que les hommes sont généralement corrompus, et qu'il n'y a pas une ville, pas un coin de terre qui ne soit plein de leurs iniquités, on ne voit plus que les dieux en adoptent aucun, si ce n'est par de vaines apothéoses qu'invente la flatterie; et la justice divine devenue plus lente et plus tardive se réserve à punir les coupables après leur mort. (6) Or de tout temps les événements extraordinaires et singuliers en s'éloignant de la mémoire des hommes, ont cessé de paraître vrais, par la faute de ceux qui ont bâti des fables sur les fondements de la vérité; car depuis l'aventure de Lycaon l'on a débité qu'un autre sacrifiant à Jupiter Lykaios avait été aussi changé en loup; qu'il reprenait figure d'homme tous les dix ans, si dans cet intervalle il s'était abstenu de chair humaine, et qu'autrement il demeurait loup.  

Saint Augustin, Cité de Dieu XVIII, 17
Ve siècle

[18,17] XVII. Hoc Varro ut astruat, commemorat alia non minus incredibilia de illa maga famosissima Circe, quae socios quoque Vlixis mutauit in bestias, et de Arcadibus, qui sorte ducti tranabant quoddam stagnum atque ibi conuertebantur in lupos et cum similibus feris per illius regionis deserta uiuebant. Si autem carne non uescerentur humana, rursus post nouem annos eodem renatato stagno reformabantur in homines. Denique etiam nominatim expressit quendam Demaenetum gustasse de sacrificio, quod Arcades immolato puero deo suo Lycaeo facere solerent, et in lupum fuisse mutatum et anno decimo in figuram propriam restitutum pugilatum sese exercuisse et Olympiaco uicisse certamine. Nec idem propter aliud arbitratur historicus in Arcadia tale nomen adfictum Pani Lycaeo et Ioui Lycaeo nisi propter hanc in lupos hominum mutationem, quod eam nisi ui diuina fieri non putarent. Lupus enim Graece g-lukos dicitur, unde Lycaei nomen apparet inflexum. Romanos etiam Lupercos ex illorum mysteriorum ueluti semine dicit exortos.

[18,17] A l'appui de ce fait, Varron en cite d'autres non moins incroyables de cette fameuse magicienne Circé, qui change aussi en bêtes les compagnons d'Ulysse; et de ces Arcadiens que le sort désigne pour passer à la nage sur certain étang où ils deviennent loups, et vont vivre avec cette espèce farouche aux lieux déserts de cette contrée. S'ils s'abstiennent de chair humaine, au bout de neuf ans ils repassent le même étang à la nage, et reprennent leur forme d'hommes. Enfin il cite nominativement un certain Demaenetus, qui, ayant goûté du sacrifice d'un enfant que les Arcadiens immolent à leur dieu Lycæus, est changé en loup, et qui, dix ans après, réintégré dans sa véritable forme, remporte le prix du pugilat aux jeux olympiques. Et suivant le même historien, ce nom particulier en Arcadie, de Pan Lycæus et de Jupiter Lycæus, a son origine dans cette métamorphose d'hommes en loup qui, dans l'opinion de ces peuples, ne saurait arriver sans un acte de la puissance divine. "Loup", en effet, se dit en grec g-lukos, d'où le nom de Lycæus est évidemment dérivé. Enfin Varron prétend que les prêtres Luperques sont, pour ainsi dire, les descendants de ces mystères.

Isidore de Séville, Etymologies 11, 4, 2

à faire

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