Le Hamr

Il ressemble beaucoup à la fylgia, mais il peut se matérialiser. C’est le double physique : il est corporel et individuel. Il est typiquement islandais. Il peut voyager dans l’espace et le temps, il se manifeste surtout pendant les rêves, ou bien lors d’un état de « catalepsie », de maladie (voir Aubigné), ou bien lors de la dégradation du corps périssable ; il se libère pour vivre sa propre vie et agir parfois au loin. Donc le corps matériel et le double ne peuvent agir en même temps. L’heure habituelle du dédoublement dans les croyances nordiques est la tombée de la nuit. Quand on voit un animal, ça peut être le double zoomorphe d’autrui. Quand le double est absent, le corps est très vulnérable. Le pouvoir de dédoublement peut se transmettre par hérédité. Grâce au hamr, l’homme peut affronter ses ennemis sous une forme animale. Le hamr, ce sont les pulsions, le « ça » d’un individu.

Egill Skallagrimsson (fils de Grimr le Chauve) est né en Islande au Xe siècle. Il a existé, sa "légende" est racontée par Snorri Sturluson début XIIIe dans une saga et le présente comme un loup-garou, comme son arrière-arrière-grand-père Ulfr Oargr originaire de Norvège. L'Islande vient juste d'être découverte, la famille s'y enfuit. C'est le prototype du loup-garou germanique.

L'autre allusion au loup-garou germanique concerne Odin : « Il changeait de forme.Alors son corps gisait comme endormi, ou mort, mais lui, était oiseau ou animal, poisson ou serpent,et il allait en un instant dans des pays lointains vaquer à ses affaires ou à celles d'autrui. »

La source principale est l'Edda de Snorri Sturluson, Islandais chrétien du XIIIe amoureux de la mythologie ancestrale, qui l'a rédigée deux siècles après la fin du paganisme.

En suivant Régis Boyer, le Hamr est « la forme interne qui épouse intimement l'enveloppe corporelle [...] cette forme en creux dont nos apparences sont l'expression visible ». De nature immatérielle, il est, à l'inverse du hugr, constitutif de l'individu.
Il peut cependant, sous certaines conditions, et chez certains individus, se détacher de son enveloppe corporelle et agir pour son propre compte. Cette faculté de dédoublement lui permet aussi de s'affranchir des catégories spatiales et temporelles : il peut garder figure humaine mais aussi se métamorphoser en animal (ours, loup, taureau, aigle, cygne...), il peut avancer ou remonter le temps.
Par extension le hamr désigne aussi le génie tutélaire d'un clan, hamingja, qui s'attache en général au chef de ce dernier, puis à ses successeurs.
D'après R. Boyer, il est plus juste de parler de « libérer le hamr », ou « extraire le hamr », que de parler de métamorphose : entre l'individu et l'animal en lequel « court » son hamr existe une idiosyncrasie. De l'homme dédoublé, on dit qu'il « voyage sous sa forme », sous les espèces de son hamr. Hamr sert à la construction d'expressions telles que : « qui n'a pas qu'une seule forme », « devenu puissant par sa forme », « dont la puissance est accrue » (hamrammr). Le hamrfar est le dédoublement de personnalité suivi de métamorphose animale à des fins diverses.
Chacun de nous possède un double, non seulement spirituel, mais aussi physique. Un Double qui a notre "forme" (nous quitte et nous réintègre à volonté par le biais de catalepsies : hamr), qui nous "accompagne" (nous précède, nous escorte ou nous suit : fylgia), qui nous "informe" (hugr = anima mundi = mana). Ce Double est une "image-réalité".
Thème du don de double-vue : "dont les yeux ont un pouvoir supérieur" signifie qu'ils ne s'attardent pas aux apparence, ils découvrent la réalité occulte et triomphent des catégories physiques de notre univers. Un homme possédant ce don de deuxième vue voit les Doubles zoomorphes des autres hommes.
Le Double a connaissance des destinées d'autrui par le biais de l'alter-ego de celui-ci.


Le « Hamr » et le loup-garou  

Le loup, que l’on voit et qui agit comme un homme pourrait le faire (mais avec plus de potentiel), est tout simplement une des formes que peut prendre le hamr, lorsque une partie du caractère de l’individu ressemble au tempérament du loup : l’homme possède un ou plusieurs doubles qui peuvent prendre n’importe quelle forme en fonction de celle qui les caractérise le mieux. C’est le thème très porteur du double animal.

Le « Hamr » et le vampire  

Chez les peuples chamaniques, l’âme-Hamr réside dans les os ; d’où une résurrection possible : le double ne disparaît pas tant que le cadavre n’est pas totalement détruit. De là vient probablement le vampire : les capacités du mort dépasse celles du vivant. Quand on meurt, le hamr survit tant que le corps n’est pas décomposé : c’est durant ce laps de temps que le « vampire » serait là. C’est peut-être une des origines du mythe.

Le « Hamr » et la sorcière  

De là vient aussi la sorcière : la sorcière médiévale, c’est (au moins en partie) le double germanique lorsqu’il commet des choses négatives ; c’est probablement le Hamr, le double corporel (par exemple pour une vengeance). Donc le loup-garou et la sorcière sont très proches ; ce que nous disent bien les légendes médiévales.
L’onguent remplace les anciennes techniques de l’extase, et le bâton (éléments inventés au XVe) vient du bâton norrois, attribut des magiciens. Les sorcières aussi sont liées aux animaux. En fait, on constate le même genre d’évolution pour la sorcière et pour la fée : l’une est le négatif de l’autre, l’une vient du hamr et l’autre de la fylgia.

Loups-garous, vampires, sorcières : ils sont cousins, ils viennent du hamr. On pourrait dire qu’un hamr à l’apparence féminine est une sorcière, qu’un hamr à l’apparence lupine est un loup-garou, et que le hamr d’une personne morte mais non décomposée est un vampire. De plus, dans certaines traditions, on pense qu’un individu qui a été loup-garou de son vivant devient un vampire à sa « mort ». D’après une interprétation moderne, seul un loup-garou peut tuer un vampire. En fait, il est toujours question du hamr.

Mais les circonstances de l’apparition du vampire sont différentes de celles du loup-garou ; les thématiques et problèmes soulevés aussi. Pour le vampire, on a les thèmes de démarcation vie-mort ; ici-bas – au-delà ; pour le loup-garou, ce sont les thèmes sauvagerie-civilisation, animal-homme, maîtrise intellectuelle-instinct physique. Il en possède probablement d’autres.

Derrière tout cela, il y a les conceptions chamaniques : lorsque le chaman est en transe, son esprit quitte son corps et, sous forme humaine ou animale, gagne l’au-delà pour diverses raisons ; assez souvent pour en ramener l’âme d’un défunt ou les moyens de guérir une autre personne (thème du loup psychopompe), parfois pour un règlement de comptes. En fait, se métamorphoser en loup, c’est extraire de soi son véritable hamr qui a les caractéristiques du loup : ça peut être positif aussi bien que négatif car la symbolique du loup possède ces deux aspects.
Mais tout cela a été réinterprété par les chrétiens du Moyen-Age. Les histoires de loups-garous sont souvent tout ce qui reste d’anciennes influences chamaniques et/ou scandinaves auxquelles se sont tardivement mêlées des réminiscences de la mythologie antique ; le tout sous la coupe de l’interprétation chrétienne.
L’ancien norrois n’a pas de mot pour « néant », « non-être ». Vie, rêve, mort etc s’interpénètrent.


MàJ : 07/04/2019

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