Quand les hommes aimaient les loups - Pierre Ropert sur France Culture

Avant d'être mal-aimé, le loup a été objet d'adoration. Pierre Ropert nous a présenté en 2017 cette petite anthologie du loup à travers l'histoire, à l'aide des archives de France Culture.
Merci à lui.


"Désagréable en tout, la mine basse, l'aspect sauvage, la voix effrayante, l'odeur insupportable, le naturel pervers, les mœurs féroces, il est odieux, nuisible de son vivant, inutile après sa mort" disait Buffon de lui dans son Histoire naturelle.
Le loup fait partie intégrante de notre folklore, suscitant à la fois attraction et répulsion. Au fil de l'histoire, cet animal a fasciné autant qu'il a effrayé. Des spécialistes comptent mettre à mal les rumeurs fantasmatiques qui entourent le "canis lupus" en faisant découvrir son mode de vie.

Le loup, objet d'adoration

De fait, le loup, bien avant d'être un élément de fiction dramatique à même d'effrayer les enfants dans les œuvres de La Fontaine ou de Charles Perrault, a été objet d'admiration de la part de l'homme. Dans Les Chemins de la connaissance en 1995, l'ethnozoologue Geneviève Carbone racontait ainsi comment les loups, bien avant d'être haïs, avaient été l'objet de véritables cultes :

"Dans le monde, dans l’hémisphère où ont vécu les loups, il y avait des populations de chasseurs-cueilleurs pour lesquelles le loup était le modèle absolu. On tendait vers le loup qu’on soit homme ou qu’on soit femme, et dans ce cadre-là, le loup est l’ancêtre absolu, il est celui qui fonde des lignées royales, des lignées de chef [...] ; et pour la femme il est celui qui apporte la fertilité. Donc on a besoin du loup. Cependant pour vivre dans de telles sociétés, ce sont des sociétés qui vont vivre de la chasse ou de la guerre, c'est-à-dire d’une violence qui est inscrite ou socialisée. Et le loup dans ce cadre-là va représenter celui qu’on va imiter." 

"On a souvent dit que l'homme hait le loup parce qu'il lui ressemble trop."



Longtemps, pourtant, le loup est un animal ambigu. Il fascine les peuples germaniques par sa force et son courage, et se voit totémisé. Dans les civilisations antiques, le mythe de la louve du capitole qui élève Rémus et Romulus lui confère une dimension positive. Pourtant, "à l’époque antique, le loup n’est pas uniquement un animal positif, expliquait l'historien Jean-Marc Moriceau dans Concordance des temps sur France Culture en novembre 2011. On a des stèles notamment qui montrent des louves dévorantes d’enfants, au IIe ou IIIe siècle de notre ère. On a des monnaies gauloises qui montrent des loups qui attaquent des enfants. Il faut bien avoir à l’esprit qu’on vit à travers un mythe culturel qui est le mythe d’un loup qui aurait été en quelque sorte gentil à l’époque antique et qui serait devenu méchant à l’époque médiévale. Ce n’est qu’une reconstruction du passé parce que les sources nous montrent que déjà à l’époque antique et à l’époque médiévale, l’ambivalence existait."

Le loup, créature diabolique

Le loup est un animal apprécié jusqu'à l'arrivée de la civilisation, expliquait l'ethnozoologue Geneviève Carbone dans Les Chemins de la Connaissance : "On découvre une religion tout à fait nouvelle qui dit qu’il y a un Dieu sur Terre, qu’il est du côté de l’agneau, de la lumière, et qu’il va bannir l’hiver, la mort et le froid. Le problème c’est que le loup est du côté de l’hiver, de la mort et du froid et que c’est lui qui vient manger les agneaux quand on oublie de les surveiller un peu trop. Pour continuer à intégrer un loup qui est un des éléments les plus importants du folklore occidental avec l’ours, il faut lui trouver une raison d’être, et celle-ci c’est le diable. Donc on balance le loup du côté de la nuit, de la sorcellerie."

C'est essentiellement au cours du Moyen Âge que la vision du loup change du tout au tout : les attaques de loup sont assimilées aux grands malheurs tels qu'ils sont décrits dans les Ecritures : "Cette image négative du loup permet à l’Eglise d’avoir une grille d’intelligibilité, précise Jean-Marc Moriceau : quand des loups attaquaient l’homme et remettaient en cause l’ordre voulu par Dieu - qui voulait que l’homme soit au sommet de la société -, quand le loup perturbait cet ordre-là dans des conditions dramatiques, alors l’Eglise avait une explication qui tenait à la référence à l’Ecriture sainte. Et, et en même temps, une référence au fait qu’on était en situation de péché moral, de désaffection à l’égard des préceptes de la religion. Elle avait donc une mission un peu pédagogique dans sa grille de lecture."

La bête du Gévaudan

En 1764, une série d'attaques sur des enfants, en Haute-Auvergne et dans le Gévaudan, déclenche une véritable crise : la bête du Gévaudan fait au total 115 victimes et 53 blessés. Alors que la France vit une période de paix, la presse s'empare de l'affaire et le roi établit un système de primes extraordinairement alléchant pour la capture de la bête. Pendant des mois et des mois, les chasseurs envoyés font chou blanc, alors que les victimes s'accumulent. Jusqu'à ce qu'un énorme loup soit abattu par un envoyé du roi. Pourtant, pendant encore deux années au moins, les gens du Gévaudan et de la Haute-Auvergne sont confrontés à d’autres loups, jusqu'à ce qu'ils soient tous exterminés en 1767. 

Signe des temps, notre époque moderne lui a redonné ses lettres de noblesse : loin des mythes, et un temps presque disparu, le loup est redevenu un animal digne de confiance qu'il est nécessaire de protéger. "La peur du loup, en Occident, est un fait constant, assurait en août dernier, Michel Pastoureau, dans Les Animaux aussi ont leur histoire, mais il y a quand même des périodes où elle se ralentit et se fait moins grande", avant de dresser un portrait de cette créature et de sa place dans la symbolique européenne, et particulièrement dans les contes pour enfants, des contes de Perrault au bien plus gentil "Lou le Loup".

Dernier podcast à écouter pour cet article : https://www.franceculture.fr/emissions/les-animaux-ont-aussi-leur-histoire.

Création : 07/04/2019

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